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Cinéma Jacques Tati, Interview
Ils rêvaient d’un autre monde
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Un an après la sortie de votre livre Histoire de ta bêtise, mise à nu acide de la « bourgeoisie cool » au pouvoir, vous réalisez un documentaire sur des personnes qui ont décidé de vivre et de travailler autrement. Après la critique, le mode d’action ?
Oui, on peut dire cela. L’art peut servir à faire le constat d’une situation (dans Histoire de ta bêtise, je parle des dominants, de ceux qui gouvernent) et être source de propositions. C’est le sujet du documentaire : comment dépasser cette situation et inventer des formes de vie alternatives permettant d’échapper à l’emprise du monde marchand.
Les expériences montrées se déroulent toutes à la campagne. Peut-on vivre autrement en ville ?
Depuis l’industrialisation du pays au XIXe siècle, beaucoup de penseurs et mouvements politiques considèrent la campagne comme le lieu où l’on peut s’échapper de l’emprise du monde capitalo-industriel. Puisque le capitalisme développe - et se développe dans - les villes, une façon d’y échapper est de retrouver l’espace rural et le mode de vie qui l’accompagne.
Il y a aussi à la campagne cette idée de tranquillité qui n’existe pas dans les villes, où l’on est « sur-socialisé » - donc « sur-surveillé » - et entièrement dépendant de la division du travail : par exemple, je ne peux pas me nourrir par mes propres moyens à Paris, je n’ai pas de jardin. Le mouvement des squats est, c’est vrai, une forme de vie alternative urbaine. Dans les années 80, il a même créé des espaces d’autonomie, mais qui n’ont pas duré.
Avez-vous produit votre film de manière alternative ?
En tout cas très différemment du mode de production « majoritaire ». Je mets des guillemets à ce terme car il ne désigne pas une quantité : l’immense majorité des films français sont en effet produits en dehors du circuit traditionnel. Plein de gens font des films en France ! Reste à les diffuser et les faire connaître. Nous n’avons pas demandé d’aide au CNC. Seul France 3 Pays-de-Loire nous a donné un coup de main. Il faut réfléchir aux moyens de se passer du soutien financier des chaînes de télé, qui est formatant. Plus largement, je pense que l’on peut faire des films - notamment des documentaires - avec très peu d’argent.
Le point commun de toutes les personnes filmées est le courage. N’est-ce pas ce qui nous manque, le courage, pour changer les choses ?
J’ai filmé des gens que j’admirais, entre autres parce qu’ils ont fait quelque chose que moi je n’ose pas faire. Ils expliquent ce courage par une confiance profonde dans le fait que les choses finissent toujours par s’arranger. Une sorte de destin. Les sœurs orthodoxes disent la même chose, même si leur discours est lui porté par la foi religieuse. Il y a autre chose : alors qu’on nous cloue dans le corps la peur du manque, eux n’ont pas cette crainte.
Enfin, ils ont une grande confiance en eux, en leurs capacités. Mais la clé est, je crois, le degré d’exaspération qu’ils avaient par rapport à leur vie d’avant. Quand votre maison est en train de brûler, ce n’est pas le courage qui vous fait sortir, mais l’instinct de survie. Certaines personnes du documentaire avaient une vie littéralement insupportable. Même si j’habite une ville, Paris, que j’ai parfois envie de quitter et qu’il m’arrive de fréquenter une certaine classe sociale qui m’exaspère un peu, je vis de ma plume - ce que j’ai toujours voulu - je fais des documentaires… Tout va bien ! Je ne suis pas arrivé au seuil d’insupportabilité qui m’obligerait à partir.
Le survivaliste est incarné par un acteur, qui d’ailleurs est très drôle. Faut-il passer par la fiction pour mieux montrer le réel ?
La présence d’un acteur est très simple : je souhaitais filmer un autonome de ce profil-là, quelqu’un qui habite reclus dans la nature. Je n’en ai pas trouvé, parce que je crois que ça n’existe pas. En tout cas pas en Mayenne (lieu du tournage du documentaire, NDLR). Je l’ai donc inventé. J’en ai profité pour lui faire dire des idées qui m’intéressent sur la propriété, la maladie… La fiction permet ça : faire entendre des pensées que le strict documentaire n’est parfois pas capable de capter. On ne peut pas faire dire aux gens ce qu’on voudrait qu’ils disent.
Automones, finalement, n’est pas le mode d’emploi de l’anarchisme?
Si. Ce qui organise la pensée anarchiste, c’est comment peut-on vivre de façon autonome, c’est-à-dire autogérée. D’ailleurs l’idée d’une autonomie loin des villes traverse beaucoup de mouvements anarchistes du XIXe siècle (je pense par exemple à Pierre Kropotkine ou Elisée Reclus, qui ont parlé du monde rural). Pour eux, le lieu du possible est la campagne. C’est l’inverse de la tradition marxiste, qui estime, elle, que le changement a d’abord lieu dans la ville, avec comme acteurs premiers de ce changement les prolétaires.
Propos recueillis par M.M.
Rencontre-débat avec François Bégaudeau autour de la projection de son documentaire Autonomes, le dimanche 13 septembre 17h30 au cinéma Jacques Tati.